Que porte mon enfant, mon ado, dans son sac à dos ?
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Pas simple dans les familles quand le trauma a laissé sa marque. Une fête réunit la famille élargie. Certains savent, d’autres non. Les tensions sont là, mais on doute parfois de leur présence tant la bonne humeur et les sourires affichés sont convaincants. On mange, on boit, on rit, on parle de tout, de rien, de rien surtout. On ne parle pas de ce qui s’est passé, on ne parle pas de la douleur de la victime, on ne parle pas de son enfance terrifiée. Parfois, même, on doute… Quand on n’a pas été témoin direct des violences, et même quand on l’a été, notre cerveau est ainsi fait pour nous protéger de ce qui fait mal, on peut douter de la réalité de ce qu’avance la victime. Elle parle de coups, de hurlements, de menaces, d’insultes quand elle était enfant… mais n’exagère-elle pas un peu ? D’ailleurs, elle est tellement excessive, elle s’énerve pour un rien, ou pleure, elle a sans cesse mal à la tête ou au ventre, elle est vraiment compliquée… Elle a sûrement été une enfant difficile. Sa mère le dit d’ailleurs. Et continue à le dire. En revanche la mère est souriante, son discours cohérent, personne ne réalise qu’elle l’a répété maintes fois pour s’en convaincre elle-même, se protéger de la prise de conscience de sa propre violence.
Un incident… la jeune femme se met à hurler, elle est totalement hors d’elle… ! Aux yeux des spectateurs, c’est elle la folle. On en viendrait presque à éprouver de la compassion pour la pauvre maman qui a dû affronter cette furie. En réalité, c’est ainsi que fonctionne la mémoire traumatique. Les violences sont inscrites dans le corps, dans le cerveau. Il suffit d’un regard, d’un mot, d’une attitude, d’un bruit qui rappelle le passé, et tout s’active. La fureur, la rage la submergent… Ces émotions même qui submergeaient probablement sa mère dans le passé et qui ont fait pleuvoir sur elle les coups. Car la mère n’est pas une « mauvaise mère », ce n’est pas une méchante mère, c’est une personne qui a elle-même subi des violences qui ont marqué son cerveau. Ses traumas d’enfance se réactivaient quand elle n’en pouvait plus, seule et démunie, face à sa fille. Quand le parent disjoncte et frappe, parfois, il agit comme mu par une force d’ailleurs… il n’est même pas conscient de ce qu’il fait. Parfois, il est conscient pendant, mais en efface la mémoire. L’amnésie peut être réelle. Un parent peut ne pas se souvenir de ce qu’il a fait, surtout de ce qui a été le plus violent. C’est ainsi que fonctionne le cerveau, il se protège de la souffrance. Car c’est pour se protéger de l’émergence d’une souffrance ancienne que le parent frappe. Il ne frappe pas son enfant, il ne désire pas frapper son enfant, il frappe aveuglément… contre ses parents finalement. Parfois, le parent reprend conscience rapidement et s’excuse auprès de l’enfant terrifié. Mais les excuses ne suffisent pas à restaurer la sécurité. Et la honte trop souvent empêche les parents de parler de ce qu’ils ont fait et donc de trouver du soutien pour eux et pour l’enfant. Les coups sont partis, les insultes ont été proférées… le parent se sent mal, très mal, trop mal. Sans soutien, sans personne à qui parler, se met alors en place le processus psychique de réduction de dissonance cognitive : le cerveau efface la conscience des émotions de l’enfant, justifie ses gestes en accusant l’enfant d’être « difficile », et s’enferme dans la certitude de la nécessité d’avoir recours à la force pour « lui faire comprendre ».
Bien sûr, ce que je viens de décrire est schématique et la vie est infiniment plus complexe, mais soulever les mécanismes psychiques qui peuvent être à l’oeuvre peut nous aider à sortir du jugement et donc de la spirale de la violence.
Parfois, souvent, la famille de ces deux protagonistes se sent comme prise entre le marteau et l’enclume. On pense devoir se ranger d’un côté ou de l’autre. Non, il ne s’agit pas de trancher en faveur de l’une ou de l’autre, mais en faveur du déracinement de la violence. La violence doit être regardée en face. Les comportements excessifs de l’une sont des conséquences du trauma subi. L’amnésie, l’absence d’empathie et les justifications de l’autre ont aussi une origine traumatique, qui puise ses racines une génération plus haut. Il s’agit de sortir du cercle vicieux de la violence. Nous devons cesser de préférer fermer les yeux et feindre de croire que « ce n’est pas si grave ». Nous devons cesser d’avoir honte, de vouloir cacher. Nous devons cesser de juger aussi l’agresseur, qui finalement est aussi victime.
Dans les familles, osons parler, osons dévoiler la réalité de la violence subie par l’enfant, mesurer ce qu’il/elle a vécu, lui apporter l’empathie dont il/elle a besoin pour se sentir réintégré.e dans le cercle familial (car même si on sourit, quand on n’est pas entendu dans ses blessures, on se sent exclu).
Osons cela sans accuser le parent qui a commis les violences. Osons apporter à l’agresseur l’empathie dont il/elle a besoin pour se sentir réintégré.e dans le cercle familial (car, même si on sourit, quand nos violences n’ont pas été reconnues, on en porte la honte, on se sent exclu).