Il y a vingt-neuf ans, j’ai accouché d’une petite fille…
5 janvier 2023Quelques ressources pour les parents de fratrie
6 mars 2023Mes vœux pour 2023
Santé, bonheur, réussite, amour… cette année, les vœux classiques me paraissent insuffisants, trop en décalage avec la détresse du monde. Je m’interroge… Quels vœux puis-je formuler sinon qu’enfin les enfants ne soient plus victimes de violences, puissent grandir en sécurité, recevoir attention et empathie ? Qu’ils puissent bénéficier de conditions favorables à leur épanouissement, développer sentiment de sécurité intérieure, d’appartenance, confiance en leur personne propre et en leurs compétences ? Là, clairement, des vœux ne suffisent pas. Cette cause vaut un engagement.
Comme l’a souligné Arnaud Gallais, la France est peut-être le pays des droits de l’homme, mais il ne l’est pas encore des droits de la femme, et encore moins des droits de l’enfant. En 2019, une loi interdisant les Violences Éducatives Ordinaires a enfin été votée… Mais n’est guère suivie, faute de communication à grande échelle et d’accompagnement des parents. En 2021, à la suite du mouvement lancé par #Metoo, les violences sexuelles sont enfin prises au sérieux, la loi fixe un seuil du non-consentement à 15 ans et 18 ans en cas d’inceste. C’est un progrès, c’est insuffisant. Dans sa résolution n°2330, l’Europe exhorte les états européens à supprimer les délais de prescription et à instaurer un seuil de l’âge du non-consentement à 18 ans. En 2022, la loi du 7 février inscrit dans le code de l’action sociale et des familles la définition juridique de la maltraitance, mais le grand public ignore encore ce qui est maltraitance et de trop nombreux adultes continuent de faire honte, terrifier, traumatiser les enfants… Si VEO et grave maltraitance ne sont pas à mettre sur le même plan, il est nécessaire de réaliser qu’il y a continuum entre les deux, car elles disent que l’adulte a des droits sur le corps, sur la personne de l’enfant. L’enfant doit obéir, se soumettre à l’adulte. Il est temps de changer de regard, de mesurer ce que signifierait respecter la charte des droits des enfants, temps de réaliser que les adultes ont des devoirs à leur égard et non pas des droits sur eux. Les enfants ont des besoins physiques, émotionnels, cognitifs, et si leurs réactions sont disproportionnées ou inadaptées, nous, adultes, portons la responsabilité de les aider. Leur cerveau est immature, certes, mais cela ne justifie pas qu’on les traite à la carotte et au bâton. Quand on comprend ce qui se passe dans leur cerveau, quand on sait leurs capacités d’empathie et leur désir d’appartenir, d’être en lien, de faire plaisir à leurs parents et de s’intégrer à la société, on mesure combien sont erronées les interprétations concluant à de mauvais penchants, à de prétendus désir de toute puissance et pulsions perverses cherchant à manipuler, berner, prendre le pouvoir sur l’adulte.
Les violences faites aux enfants, leur ampleur, leur gravité, leurs conséquences catastrophiques sont un problème de santé publique majeur. Pourtant la prévention reste très timide, la société reste quasi aveugle et surtout, les agresseurs sont protégés. En France, 6 victimes sur 10 ne sont pas soutenues quand elles parlent. Les plaintes sont massivement enterrées ou retournées contre la plaignante. Des médecins sont «rappelés à l’ordre» ou plutôt au silence par le Conseil de l’Ordre qui les accuse d’avoir fait un signalement abusif (malgré des images IRM, des évidences de blessures au sexe ou à l’anus de l’enfant). Des mères perdent la garde de leur enfant, voire l’autorité parentale, pour avoir dénoncé le père sous prétexte de «syndrome d’aliénation parentale», un concept inventé par les masculinistes américains, évidemment sans fondement scientifique, mais qui s’est répandu de manière hallucinante dans le milieu de la justice en France. Des mères sont accusées d’être trop proches de leur enfant et de vouloir le séparer de son père. Que ce dernier ait déjà été condamné pour violence ne rentre même pas en ligne de compte. En France, il ne fait pas bon dénoncer un inceste. Pourtant, nous savons que 98% des auteurs d’inceste sont des hommes et que 10% des français.es en seraient victimes. Dans notre pays, on préfère trop souvent fermer les yeux et les oreilles. Même à l’école, alors qu’une victime d’inceste sur deux a moins de 9 ans et que les estimations évoquent une moyenne de 3 enfants victimes par classe de 30 ? Pour quelle raison l’Éducation Nationale n’a-t-elle pas encore fait installer toutes les structures scolaires des boites aux lettres Papillons© ? Dans ces boites, les enfants peuvent glisser un mot, un dessin et leur nom et exprimer ce qui leur arrive ou ce qui arrive à un.e de leurs camarades. Les boites sont relevées deux fois par semaine. Des bénévoles formés étudient les situations et agissent selon le caractère de gravité. Qu’ils racontent des situations de harcèlement, des coups, de la violence au sein de la famille, des violences sexuelles, les enfants sont entendus, leur détresse est prise au sérieux et ils sont protégés. Le ministère des sports soutient l’association, mais celui de l’Éducation Nationale pas encore. Pourquoi ? Il y a urgence. Nous parents, enseignants, insistons ! Demandons l’installation de ces boites salvatrices dans chaque école.
La France est le deuxième pays d’Europe hébergeur de contenus pédocriminels et le 3ème au monde ! Normal ? Un coup de filet de temps à autre suffit à rassurer l’opinion publique et à faire croire que des mesures sont prises. A l’heure où les algorithmes surveillent nos moindres coups d’œil à l’écran pour mesurer le temps que nous passons sur chaque publicité, comment croire qu’on ne puisse rien faire contre cette cyberpédocriminalité ? N’oublions pas que derrière chaque image, c’est un enfant violé, un enfant traumatisé.
En France toujours, la prostitution de mineurs a augmenté de 68% entre 2016 et 2020. Ce ne sont pas des migrants. 90% des mineurs victimes de prostitution sont de nationalité française et à 88% ce sont des filles entre 14 et 17 ans. La moitié des affaires rapportées aux autorités judiciaires est classée sans suite. Le système est-il défaillant ou complice ?
Violences physiques, psychologiques, institutionnelles, sexuelles… Les statistiques les plus optimistes montrent que 67% des adultes ont subi un trauma dans leur enfance. Deux personnes sur trois ont subi au moins un événement violent ou une situation répétée. 87% d’entre elles en ont subi plus d’un et une personne sur huit comptabilise au moins quatre traumatismes. Ces traumas altèrent le développement du cerveau et ont des conséquences sur la santé physique, mentale, relationnelle et en fin de compte sur toute la société. Car avec un cerveau qui peine à réguler ses émotions et ses impulsions, il est difficile de vivre en bonne harmonie avec soi-même et avec ses semblables. La violence subie entraîne la violence. Pour sortir du cercle vicieux, nous devons adresser la question du trauma. Personne n’est né mauvais. Aucun parent ne désire réellement se montrer violent envers son enfant.
Décembre 2022, nous sommes 45 dans une salle de la Mairie de Marseille. Ce qui nous réunit ? Un projet fou : faire de Marseille une ville non-violente. L’histoire ? En juin 2022, je participe au voyage d’étude organisé par Ensemble pour la Petite Enfance en Norvège. J’y découvre éblouie qu’Oslo se dit «trauma informed city» – ville informée sur le trauma. En rentrant, je me renseigne. Oui, d’autres villes dans le monde ont lancé ce type de programme, et les succès sont mesurables. Amélioration de la qualité de vie et de la sécurité, réduction des incivilités et de la criminalité… En septembre, nous sommes en train de refaire le monde lors d’un dîner. Mes commensaux sont enthousiastes. Chiche ! Quelques coups de fil et nous réunissons chez moi quelques élu.e.s de Marseille et de Montpellier pour visionner le fantastique film de Gabor Maté, the Wisdom of Trauma. Le rêve devient projet. Le 8 décembre, nous sommes 45 à réfléchir ensemble. Le 10, présentation du projet lors des 21h de la non-violence organisées par Non-Violence XXI. Après Trauma informed Philadelphia, Healthy Chicago, Compassionate Leeds, et une trentaine d’autres villes de par le monde, Marseille non-violente et Montpellier Stop Trauma se lancent dans l’aventure du changement de regard sur la violence et le trauma. Le premier des six objectifs stratégiques édictés par le comité des ministres du Conseil de l’Europe pour les six prochaines années est : Une vie sans violence pour tous les enfants. Ce sera mon engagement pour cette année 2023. Difficile de conclure par « bonne année » après ces mots. Mais finalement, si nous nous y mettons tous, peut-être que cette année pourrait être la bonne ?
Isabelle Filliozat