Empathie ou déconnexion ?
21 juillet 2022Qui croire ?
8 décembre 2022Que porte mon enfant, mon ado,
dans son sac à dos ?
C’est la rentrée, nous avons les yeux focalisés sur les cartables, les fournitures à acheter, les horaires à respecter… mais certains enfants, de trop nombreux enfants, portent un fardeau bien plus lourd que ce sac sur leur dos et les contraintes de l’école peuvent les inciter à s’enfermer un peu plus encore dans leur silence. Le souci avec les violences sexuelles, c’est que nous parents, avons les yeux ailleurs, fixés sur l’horloge et les urgences du quotidien. Quand l’enfant refuse, exprime des peurs irrationnelles, quand il peine à s’endormir, quand il se montre rebelle, tendu, irascible… notre éducation nous pousse à être tenté de le faire rentrer dans le rang. Nombre de gens, et étonnamment hélas même des “psys” nous disent “il faut lui mettre des limites” comme seule réponse à ces comportements. Qui se préoccupe d’écouter la blessure qui motive cette explosion de symptômes de stress ? Trop longtemps on a mis des étiquettes sans s’interroger sur la source de ces troubles : trouble anxieux, trouble du sommeil, trouble oppositionnel, trouble des conduites… Outre Atlantique, un médecin courageux a bataillé pour faire accepter par la communauté scientifique que nombre de diagnostics psychiatriques étaient posés sur ce qui était en réalité un Syndrome de Stress Post Traumatique : Bessel van der Kolk (son livre). Il lui a fallu encore livrer quelques bagarres pour que les ACE, “Événements adverses de l’enfance”, les traumas subis dans l’enfance, puissent être reconnus comme susceptibles de causer ces troubles.
Des craintes disproportionnées, des angoisses, des difficultés d’endormissement, une humeur sombre, de la violence, de l’agressivité, des réactions à fleur de peau, du repli sur soi, de la défiance, une chute des résultats scolaires, une phobie scolaire, des comportements provocateurs, une fuite dans le cannabis ou l’alcool, une sexualité envahissante, mais aussi trop de calme et de soumission… tant de comportements peuvent indiquer une souffrance. Quand un enfant déborde, c’est qu’il a un souci. Quand un jeune ne joue plus, quand les interactions joyeuses diminuent, c’est qu’il est sous stress. L’adolescence est une étape particulièrement sensible, puisque les parents peuvent avoir tendance à attribuer les sautes d’humeur, le refus de parler et le coté taciturne à la crise d’adolescence. Imaginer que notre enfant ait pu subir des violences sexuelles est si dévastateur que l’idée ne se présente pas spontanément à notre conscience. Bien sûr, il est toutes sortes d’autres violences et de causes de souffrances de nos enfants, mais au vu des statistiques, il est utile d’ouvrir la parole avec eux sur ce sujet. Parce qu’il est extrêmement difficile à une victime d’agression sexuelle de parler. Même si les parents sont très à l’écoute. Lorsqu’un enfant, un ado, est victime de violence sexuelle, pourquoi garde-t-il en lui la blessure ? Pourquoi met-il parfois plusieurs années pour oser dire à ses parents ou à un adulte de confiance ce qu’il a subi ? Il a peur, il a honte, oui. Ses sentiments sont emmêlés, oui. Il est dans une grande confusion, oui. S’il est petit, il n’est même pas tout à fait certain de ce qu’il a vécu. La dissociation dans son cerveau, l’amnésie traumatique, font aussi leur travail de protection pour assurer sa survie. Et puis… l’enfant peut se sentir indigne de l’amour de ses parents, craindre de les décevoir, de leur faire mal, de les mettre en situation délicate… Les enfants protègent leurs parents, surtout s’ils perçoivent une fragilité chez ces derniers. Devant l’effroyable, l’enfant victime est tenté de minimiser. Seul, il ne peut que sous-estimer la gravité de ce qui lui est arrivé. Dans sa tête il se dit : “Ce n’est pas arrivé/ce n’est pas si grave/ça va passer/si je n’y pense pas, ça va s’effacer/il n’a pas voulu me faire mal/j’ai provoqué/c’est ma faute…” Et il enterre tout cela au plus profond de lui.
A l’adolescence, le remaniement du cerveau fait remonter les blessures, parfois l’ado a conservé la mémoire consciente de ce qui s’est passé, parfois non. Mais la mémoire traumatique est là. La détresse est engrammée dans le corps. Certains ados se jettent à corps perdu dans une sexualité compulsive, d’autres se terrent plus encore qu’avant à l’intérieur d’elles-mêmes, dépriment, angoissent, phobies diverses peuvent apparaître… dépression, idées de suicide, comportements destructeurs… L’ado ne fait pas toujours le lien direct entre son état émotionnel et ce qui lui arrive. Il se sent mal, de plus en plus mal, et s’en attribue la responsabilité. “je suis nul, je ne vaux rien, je ne sers à rien, je devrais aller bien, je n’ai aucune raison de me plaindre”.
C’est pour cela que nous devons parler de sexualité, de consentement, lire ensemble des livres, regarder des films, parler, parler, parler. Une agression sexuelle peut arriver à n’importe qui. C’est un voisin, un ami de la famille, un élève de l’école, un beau-frère, un cousin… Ce n’est pas de la faute des parents, ni de celle des enfants. Rien ne peut garantir qu’il n’arrivera jamais de violence à un enfant, rien ne peut garantir qu’il pourra en parler, tout attentifs que nous soyons. Tant de facteurs entrent en jeu. Quand on l’apprend, parent, on se culpabilise forcément. “Je n’ai rien vu. Comment ai-je pu être aveugle à ce point ?” Le trauma est parfois si violent qu’on en est immobilisé, figé. Au risque d’abandonner notre enfant encore une fois. Ce dernier a pourtant besoin que nous soyons résolument à ses côtés. Que nous assumions notre rôle de protecteur et dénoncions l’agression. Mais porter plainte n’est pas anodin et requiert de la force intérieure. Aucun parent ne devrait être laissé seul face à une telle montagne à gravir. Heureusement, les personnes recevant les plaintes sont de mieux en mieux formées à accompagner chacun. Reste que c’est un tsunami pour toute la famille. Parfois les parents hésitent. Si l’agresseur est un mineur ? S’il s’agit d’un proche de la famille ou même de la famille, un de nos enfants ? Certains choisissent de tenter de résoudre les choses par eux-mêmes, ils convoquent un conseil de famille… mais l’expérience montre que pour la victime, cela équivaut à étouffer l’affaire, le trauma est plus grand encore, car alors on privilégie les intérêts immédiats de l’agresseur sur ceux de la victime. De plus, l’agresseur ne bénéficiera pas d’un suivi suffisamment sérieux. Commettre un tel acte est traumatique. Et s’il l’a fait, c’est qu’il était en souffrance. La psychothérapie est essentielle, mais non suffisante. La société doit lui adresser un message fort sur la gravité de ses actes. On ne veut pas “envoyer un gamin/un ami/un proche en prison”. Mais ce n’est pas nous qui l’y envoyons ! C’est l’agresseur qui a pris le risque d’être condamné un jour pour ses actes. Et nous ne sommes pas responsables de l’approche encore essentiellement punitive de notre société. La question de la responsabilité est essentielle. Il est fondamental d’opposer un STOP clair et net aux agressions sexuelles. Il y va autant de l’avenir de la victime que de celle de l’agresseur. De plus, les mesures d’AEMO (Action Éducative en Milieu Ouvert) sont peu connues mais elles sont privilégiées sur l’emprisonnement par les juges lorsqu’un mineur est en cause. Certes, la société française actuelle est encore très punitive. Nous sommes loin des programmes canadiens adaptés à chacun et privilégiant le soin et la prévention de la récidive. Mais cela ne justifie pas qu’on ne porte pas plainte. Porter plainte, c’est se placer au côté de la victime. Remettre les sentiments de honte et de culpabilité à leur place, permettre à l’agresseur de les récupérer. C’est aussi finalement donner sa chance à l’agresseur, chance d’affronter sa culpabilité, d’identifier les raisons de son passage à l’acte, de découvrir ses propres blessures et donc de les soigner et d’éviter ainsi un parcours désastreux et d’autres victimes.
On ne peut pas éviter toute souffrance à nos enfants, mais on peut être résolument à leur côté. Développons une attitude systématique d’empathie en face de comportements inappropriés. Formons au trauma tous les adultes, parents, éducateurs, enseignants… pour qu’avant qu’une punition tombe sur un enfant les adultes sachent écouter ce qui se passe en lui, lui posent la question “que t’est-il arrivé ?” plutôt que de souligner son “mauvais comportement”.
Une action concrète pour que les enfants n’aient plus à porter seuls le poids de ce qui leur arrive ? En cette rentrée, demandons aux institutions scolaires et parascolaires où nos enfants sont inscrits d’installer des boites aux lettres de l’association Papillons pour que victimes, agresseurs ou témoins puissent se livrer et être délivrés. Site internet de l’association Les Papillons : https://www.associationlespapillons.org/
La sexualité, le consentement, parlons-en.
Isabelle Filliozat
Ressources pour s’informer, agir, signaler :
• Le site de Dre Muriel Salmona, psychiatre, et son association Mémoire Traumatique
• Document mis à disposition par l’association de Dre Muriel Salmona pour l’accueil et l’accompagnement des victimes de violences
• Le livre Mon corps m’appartient, d’Isabelle Filliozat & Margot Fried-Filliozat
• Site officiel du gouvernement : information, signalement, mise en relation avec une association